Frederic et Muriel de Hemptinne – Algérie 2014-2019

Frederic et Muriel de Hemptinne – Algérie 2014-2019

Frederic et Muriel de Hemptinne – Algérie 2014-2019

En Aout 2014, Frédéric est envoyé en Algérie par la Coopération Technique Belge (CTB à l’époque, devenu Enabel depuis), afin d’apporter un support technique en tant qu’expert auprès de l’Agence Nationale des déchets (AND) à Alger. Parti au départ pour un an, Frédéric voit son contrat prolongé. En mars 2016, débute le projet AGID, soit Assistance à la Gestion Intégrée des Déchets, projet belgo algérien, qui consiste en la construction de 3 centres de tri et de 3 Centres d’enfouissement technique (CET), répartis sur les wilayas de Mostaganem, Sidi Bel Abbès, et Mascara. Frédéric est chef de projet. Nous quittons Alger pour Oran où nous resterons jusqu’au 30 novembre 2019.

Pour ma part, mon métier de professeur de français et mon expérience du milieu scolaire, m’ouvrent d’abord les portes d’une bibliothèque universitaire algéroise. Touchée ensuite par le sort des enfants dont les seuls loisirs consistent à assister à des cours de rattrapage scolaire, en français surtout, je profite de notre départ vers Oran pour ouvrir, avec le soutien du diocèse d’Oran et de son évêque Jean-Paul Vesco, une ludothèque au Centre Pierre Claverie. De fil en aiguille, on me confie la direction du Pôle Enfance et Jeunesse, que l’on crée en 2017. Ce seront 200 enfants des quartiers populaires d’Oran qui franchiront les portes du centre chaque semaine, pour appréhender la langue française par le biais d’activités ludiques, créatives, artistiques et récréatives.

Souvenirs de Ghardaïa – La femme mozabite

Si l’Algérie est un pays évoqué dans la presse de manière peu élogieuse, c’est souvent parce qu’il est méconnu. Vivre cet immense pays de l’intérieur est une expérience unique, incroyablement riche. C’est lors d’un séminaire sur le choc culturel, organisé par l’Eglise d’Algérie, que j’ai découvert la culture mozabite, celle de la vallée du Mzab.

Ghardaïa se situe plutôt dans la partie nord du territoire algérien, et pourtant elle est déjà, de plein pied, dans le désert saharien. Si l’architecture de la ville a fait l’objet de nombreuses études, il est difficile d’évoquer Ghardaïa, sans penser à la Maghrébine par excellence, qui focalise l’attention de nombreux ethnologues, et qui concentre à elle seule la supposée infériorité sociale des femmes musulmanes : la femme mozabite, de confession ibadite.

Passant pour la plus entravée des femmes musulmanes, la Mozabite ne porte ni dentelle, ni voilette avec son hijab, mais le ahouli, en laine épaisse et sans élégance, d’une dimension de 4 mètres de long, qui la drape toute entière. Il ne laisse à la vue de l’autre que l’espace d’un œil, restreignant ainsi de manière considérable le champ visuel de celle qui le porte.

Il ne lui laisse par ailleurs qu’une seule main libre, l’autre étant occupée à tenir le drapé. Le corps est ainsi doublement entravé, bien davantage qu’avec le niqab saoudien, internationalisé et noué derrière la tête, qui laisse les deux yeux découverts et qui n’affecte ni le champ visuel, ni l’usage des mains. L’ahouli empêche ainsi la femme de se déplacer dans l’espace public, de voir et de jouir du monde.

Si ce vêtement, associé dans l’inconscient collectif occidental à une mesure coercitive envers les femmes, subsiste dans la vallée du Mzab, c’est parce qu’il est revendiqué comme signe distinctif de l’identité mozabite dans un contexte politique qui n’est autre que celui de l’arabisation de l’Algérie. Par le port de l’ahouli, la minorité mozabite revendique pleinement son identité berbère, de confession ibadite. Le port de ce vêtement traditionnel féminin, tout comme celui du saroual, bouffant et plissé et la chechia blanche pour les hommes, est une manière de conserver les traditions mozabites en refusant la mixité sociale, le tout dans une recherche de reconnaissance identitaire. En effet, le contexte social dans la vallée du Mzab est difficile. Les cinq cités mozabites dont fait partie Ghardaïa se sont édifiées au XIIème siècle sur les cinq collines de la vallée, au pied desquelles se sont développés des quartiers arabes. Si les quartiers berbères séduisent par leur organisation et les rues par leur propreté, les quartiers bas surprennent par leur désordre un peu crasseux. Les différences culturelles sont bien réelles, si bien que la ville a été régulièrement marquée et ce notamment durant l’année 2016 par des violences intercommunautaires entre berbères mozabites et arabes.

Néanmoins, s’il est un signe identitaire, ce vêtement féminin, porté dans l’espace public est également le reflet de l’organisation d’une société particulièrement rigide en matière de mœurs, où tout est réglementé pour éviter la relation sexuelle illicite. Ainsi, que cela soit dans l’espace public ou privé, on observe une séparation totale des sexes. Le corps de la femme, objet d’interdits religieux, est garant de l’honneur et de la virilité de l’homme, en lien avec l’inviolabilité de son territoire. Il se doit donc d’être contrôlé. Il est par exemple interdit de photographier une femme, même entièrement drapée. Cette interdiction est valable pour les étrangers, mais pour les mozabites eux-mêmes.

Cette séparation des sexes s’exprime également dans l’architecture des maisons conçues pour éviter les contacts entre l’épouse et les hommes de sa belle-famille. Des codes sont établis entre les habitants de la maison afin d’éviter toute rencontre incongrue dans une même pièce. Zineb, jeune femme mozabite qui m’accompagne lors de ma visite de Ghardaïa m’explique qu’elle doit signaler sa présence en frappant la porte, afin de ne pas croiser son beau-frère dans la maison. Cette séparation se perçoit aussi dans l’aménagement des boutiques, qui disposent d’une entrée principale à laquelle seuls les hommes ont accès. Les femmes sont interdites d’entrée et doivent s’adresser au vendeur via un petit guichet latéral. Il s’agit donc de contrôler par tous les moyens la sexualité, afin de ne laisser aucune brèche qui puisse conduire à une relation illicite.

Cet isolement extrême des femmes a longtemps été une énigme pour les ethnologues.

Aujourd’hui heureusement, des changements jaillissent progressivement allant dans le sens de la modernité, mais avec un désir malgré tout de sauvegarder les traditions. Il existe des familles mozabites réformistes qui misent sur l’éducation universitaire de leurs filles, même si des familles plus traditionnelles empêchent encore les femmes à sortir de chez elles sans tuteur masculin, leur interdisant l’accès à l’école publique et les destinant à des métiers manuels.

Entre tradition et modernité, les Mozabites restent attachés au tabou féminin et continuent de fasciner.

Le hasard a voulu qu’alors que je photographiais une ruelle caractéristique, une femme est sortie de sa maison au même moment. Cela a permis cette photo inédite !

 

Muriel de Hemptinne, née de Failly, épouse de Frédéric de Hemptinne, fils de Max et Marie de Hemptinne

 

Références et lectures : Les Ibadites, mode de vie, organisation et patrimoine d’une minorité musulmane dans le Maghreb en ébullition, conçu et coordonné par Virginie Prevost, chercheuse à l’ULB, Belgique, in Horizons maghrébins, le droit à la mémoire, n°76/2017, 198 pages.